L'ANARCHISME Á LA BELLE ÉPOQUE

Ni Dieu, ni maître - Auguste Blanqui - novembre 1880

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L'anarchisme est un mouvement du XIX° siècle, né suite à la révolution française, et finissant à la première guerre mondiale. Il fût une réponse au libéralisme économique, alias capitalisme, au même titre que le socialisme et le communisme. Entre le rationalisme français et l'idéalisme allemand, ses théoriciens furent William Godwin, Max Stirner (l'unique et sa propriété, son unique ouvrage), Pierre-Joseph Proudhon (la propriété c'est le vol, il fut souvent par la suite réduit à cette sentence lapidaire), Michel Bakounine... Même Léon Tolstoï a été un chrétien anarchiste, reniant ses oeuvre romanesque antérieure et luttant contre les églises chrétiennes, accusées d'avoir perverti le message originel du christ. L'anarchisme est né de la scission de l'état et de la société qui résulte de la révolution française, rejette l'état et tente de renconstruire la société sur la base de la volonté individuelle autonome.

Anarchisme et socialisme: Ayant des origines communes et des adversaires communs, il ne faut pas s'étonner que leurs routes aient pu se croiser. Ainsi l'histoire de la première internationale (à Londres en 1861) appartient elle autant au mouvement anarchiste qu'au mouvement socialiste. L'idée en revient aux délégués français, tous anarchistes du reste. C'est d'ailleurs les luttes intestines continuelle entre anarchistes et socialistes, qui ont finalement désagrégé le mouvement naissant. Les anarchistes finissent par être expulsés de la première internationale, puis par créer leur mouvement propre, jettant les bases d'une nouvelle fédération à Saint-Imier, dans le Jura bernois. 

Propagande par le fait: Voici un des terreaux (et des fléaux) des faits divers de la belle époque, issu tout droit du nihilisme russe. Ce qui compte en effet, pour le terroriste anarchiste, c'est de frapper par la terreur l'imagination de la foule, et plus la position sociale de la victime est élevée, plus le but semble atteint. Peu importe que la victime soit coupable. Ils comptent tirer ainsi les masses de leur engourdissement, de leur apathie, de réveiller ses mauvaises passions, et de créer un climat révolutionnaire propice à leurs desseins. laissons dire Sergeï Nitchaïev:

La parole n'a de prix pour le révolutionnaire que si le fait la suit de prés. Il nous faut faire irruption dans la vie du peuple par une série d'attentas désespérés, insensés, afin de lui donner foi en sa puissance, de l'éveiller, de l'unir et de le conduire au triomphe.

Autrement dit la fin justifie les moyens. C'est au congré de Saint-Imier que la fédération jurassienne, persuadée que ni la propagande orale ni la propagande écrite ne sauraient emporter l'adhésion des foules, va faire entrer l'idée nihiliste et la propagande par le fait en occident. Dés les années suivantes toutes les têtes couronnées d'Europe se trouvent menacées. Curieusement, on a craint les anarchistes moins qu'on les admirait. Est-ce du au romantisme de la révolte, à de la fascination face à des actes gratuits ? Signalons quelques faits retentissants en France:

Ravachol: Dans la région de Saint-Etienne, Ravachol assassine deux dévots au nom de l'athéisme, sans oublier d'emporter le joli magot que les victimes possédaient. Il viole des sépultures en arrachant les bijoux sur les cadavres. Arrêté par la police il arrive à s'évader.

On le retrouve à Paris: il place des bombes sur les paliers des appartements de juges auquels des anarchistes ont eu affaire. Reconnu dans un restaurant, il est arrêté à la sortie de celui-ci. Des vengeurs anarchistes font ensuite sauter le restaurant en question, tuant le patron et un client. Ravachol, condamné à mort, monte à l'échafaud en chantant Le père Duchêne

C'est enfin l'apothéose, il n'y a pas que des théoriciens anarchistes pour voir en lui un chevalier des temps modernes, exaltant son courage et sa grandeur d'âme...

Vaillant: Le 9 décembre 1893, une bombe remplie de clous détonne dans le palais Bourbon, faisant quatre-vingt blessés. On arrête le coupable grâce à la fermeture immédiate des issues. Il s'agit d'Auguste Vaillant. Condamné à mort, sa tombe devient un lieu de pélerinage où de belles dames voilées de noir, animées d'une ferveur toute religieuse, viennent déposer la palme du martyre.

L'assasinat de Sadi Carnot: Se rendant à Lyon pour l'inauguration d'une exposition industrielle et commerciale, le président de la république est assasiné par un jeune anarchiste italien, Caserio. Celui-ci avait sauté sur le marche-pied de la calèche présidentielle et poignardé sa victime au cri de Vive la Révolution!

Le président de la république Sadi Carnot et sa maison militaire vers 1892:

Sadi Carnot et sa maison militaire vers 1892

Les lois scélérates: Avec l'assasinat de Sadi-Carnot prend fin la relative tolérance vis-à-vis des anarchistes. Une première loi avait été votée le 12 décembre 1893, suite à l'attentat de Vaillant. Une seconde loi, tendant à réprimer les menées anarchistes fût adoptée le 26 juillet 1894. Cette loi permettait de lutter plus efficacement contre les délits de presse, c'est à dire la provocation au meurtre des publications anarchistes (Temps nouveaux, Le Libertaire, L'Education Libertaire, Le Révolté, Le Père peinard, etc.). Ces lois furent qualifiées de scélérates par l'opposition socialiste qui y voyait un moyen de museler la presse de gauche (cf. Discours de Jaurés et de Millerand). 

Ces lois eurent leur plein effet: La propagande par le fait cessa rapidement. D'ailleurs, au lieu de soulever les masses, elle avait finit par les lasser. Même les bandits tragiques de la bande à Bonnot n'étaient plus des anarchistes de coeurs, mais bien des gens livrés à des activités criminelles dépourvues de toute préoccupation idéologique. 

Pour certains toutefois une nouvelle tendance, l'illégalisme, serait apparue, dont le but affiché serait de reprendre à la société ce que la société a volé aux prolétaires en les exploitant. Un journal, l'anarchie, développe la théorie, et c'est dans ce milieu que se rencontre une partie de ceux qui vont constituer la bande à Bonnot. Il reste néanmoins difficile de faire la différence avec le banditisme pur et simple. 

Assasinat d'un gardien de la paix par un anarchiste - Supplément illustré du petit journal Dimanche 3 mars 1895:


Le syndicalisme révolutionnaire: L'internationale (en s'opposant aux socialistes) et la propagande par le fait (sans les socialistes) n'ayant pas marché, les anarchistes explorent une troisème voie: le syndicalisme révolutionnaire, formule à laquelle de nombreux ouvriers restent fidèles jusqu'en 1914 et connu sous le nom d'anarcho-syndicalisme. Ils resteront néanmoins opposés aux socialistes, refusant le socialisme par le haut, l'état, le parti. Ils contribuent à entretenir un état d'esprit libertaire, ne voulant aucunement laisser aux appareils, aux organes directeurs, le destin des luttes ouvrières. Une de leurs idées est la révolution via la gréve générale: une révolution sociale radicale par des moyens (relativement) pacifiques; les anarcho-syndicalistes prônent en effet l'action directe, refusant tout intermédiaire, mendataire, parlementaire. 

Un des faits marquant de la belle-époque sera l'absence de laison entre le parti socialiste (SFIO, créée en 1905) et les syndicalistes (CGT, créée en 1895), et ce contrairement à ce qui s'est passé en Allemagne (parti social-démocrate) ou en Angleterre (parti travailliste).

La Bourse du Travail réunit les ouvriers des diverses professions d'une même ville, donnant ainsi une structure horizontale au mouvement et facilite l'émancipation individuelle des ouvriers, alors que la structure verticale des syndicats, réunissant les ouvriers d'une même profession localement, puis au niveau national, permet plus d'agir en tant que masse organisée. Un des rôle de la Bourse du Travail est de redonner à l'ouvrier, grâce à l'enseignement, la conscience de la dignité humaine, accéder à l'auto-émancipation obtenue grâce à un travail de perfectionnement intérieur perpétuel. 

En 1902, la fédération des bourses du travail fusionne avec la CGT, ce qui correspondra à une seconde naissance de celle-ci (à cette époque la CGT, aux mains des anarcho-syndicalistes, n'était donc pas assujettie au parti totalitaire communiste).

L'anarcho-syndicalisme est le fait d'un petit nombres d'ouvriers voulant s'arracher à la situation humiliante qui leur est faite dans la société, même si La Bourse du Travail est en théorie ouverte à tous. Le mouvement, plutôt antidémocrate et antivotard, espère plus dans l'action, parfois violente, d'une petite minorité, que dans la conquête de la majorité, nécessairement veule et ignorante.

Ce sont des anarcho-syndicalistes qui déclenchèrent de nombreuses grèves dans la France de la belle époque. l'affrontement avec l'armée ou la gendarmerie n'est pas esquivé, il est presque voulu. Plus encore que des avantages concrets, immédiats, la grève est le moyen d'éduquer les masses.


Source:  Que sais-je n°479 - l'anarchisme - Henri Arvon - 1974
La belle époque - Michel Winock - Tempus - 2003