BREF HISTORIQUE DE L'ARTILLERIE

DE LA RENAISSANCE AU SECOND EMPIRE

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L'artillerie à canon lisse au XVI°: Le XVI° siècle va perfectionner les résultats acquis. Les anciennes balistes disparaissent complétement, les affuts deviennent plus mobiles, les boulets sont coulés en fonte de fer, la poudre reçoit une composition plus uniforme, tandis que l'art du fondeur fait des progrés remarquables. Les bouches à feu sont toutefois soumises à tous les caprices de poids et de forme. C'est depuis cette époque que le calibre est désigné par le poids du boulet en livres, régle qui subsistera jusqu'à l'apparition de l'artillerie rayée. 

Charles Quint (1519-1555) est le premier qui réduisit à un petit nombre les modèles de pièces et d'affut de son empire. En France Henri II suivit la même voie par un édit de 1550 fixant à 6 le nombre de calibres. Cet édit tomba en désuétude durant les guerres civiles et ne fut remis en vigueur par un édit de Charles IX qu'en 1572, année du premier système régulier d'artillerie dû au grand maitre Jean d'Estries. Ce système comporte:

Le canon: 33 livres (168mm); La couleuvrine: 16 livres (130mm); La batarde: 7,5 livres (100mm); La couleuvrine moyenne: 3 livres (80mm); Le faucon: 1,8 livres (68mm); Le fauconneau: 1 livre (48mm);

Ces pièces étaient d'un poids excessif par rapport à leur boulet et étaient trés peu maniables. La charge de poudre évaluée aux trois quart du poids du boulet était introduite en vrac, de sorte que le chargement était lent et le tir peu précis. Le pointage en hauteur est réalisé en plaçant le canon sur un terre-plein convenable. En raison de leur trés faible mobilité ces pièces n'ont d'importance réelle que dans l'attaque des places. 

Notons qu'à l'époque on connaissait déjà des pièces se chargeant par la culasse, mais l'état d'avancement de l'industrie métallurgiques ne permettait pas encore de les réaliser de façon pratique et simple. De plus des essais pour envoyer des bombes, boulets creux remplis de poudre et munis d'une mèche, avaient été tentés, mais de fait les accidents furent nombreux et les progrés trés lents.

Artillerie allemande se chargeant par la culasse - XVI° siècle:


L'artillerie à canon lisse au XVII°: Au XVII° siècle de nombreux progrés furent réalisés. L'âme des canons était désormais coulée à noyau, puis alésée et polie. Des tourillons permettent enfin le pointage en hauteur et d'alléger l'affût, tandis que la poudre reçut enfin une composition uniforme.

Les affuts furent reliés à des avants-trains et devinrent relativement mobiles pour une utilisation en campagne. Les différents affut commencèrent à être appropriés aux différents services de guerre. 

Affut de campagne sous Louis XIV:

Canon de 1 livre, monté sur un affut repliable pour une utilisation en montagne:

Affut de place  et de côte inventé par Vauban:

Affut de marine:

C'est sous Louis XIV que l'artillerie reçut une organisation moderne. Vers 1630 on trouvait encore les six calibres du siècle précédent. Vers 1650 s'y ajouta les canons de 12 et de 24, tandis que les faucons et fauconneaux disparaissaient en raison de leurs effets insignifiants. On avait ainsi à la fin du règne de Louis XIV:

Les mortiers prirent une grande importance dans la guerre de siège. La fusée conique en bois importée des Pays-Bas fermait hermétiquement le trou de la bombe et la composition fusante brulait lentement et régulièrement. On employait le tir à deux feux dans lequel on allumait la méche de la fusée avant de mettre le feu à la charge du mortier. L'angle se réglait avec un  quart de cercle. 

Des grenades à mains furent employées dans la défense des places, et des compagnies de grenadiers furent crées en 1667. 


L'artillerie à canon lisse au XVIII° - le système Vallière: En 1732 le colonel Vallière fixa à l'aide de tables de construction les calibres et dimensions de toutes les bouches à feu. Les dimensions furent déterminées en calibres, puis traduites en pouces (27mm), pieds (12 pouces, 324mm) et toises (6 pieds, 1950mm). L'art de la fonderie était suffisamment abouti pour que ces dimensions soient respectées, et l'uniformité dans la construction des canons date de cette époque.

Le canon de 33 livres est abandonné parce que trop lourd, ceux de 1,5 et 0,75 livres parce que trop peu efficaces, tandis que les calibres 24 et 12 utilisés en Espagne et dont il existe de nombreuses prises de guerre sont adoptés. Nous avons donc finalement 5 calibres: 24-16-12-8-4 livres. 

On avait là la première application raisonnée du principe de similitude: le poids des canons était environ de 250 fois le poids du boulet, la longueur en calibre variait de 20 à 25, la charge de poudre était des 2/3 de celle du boulet, les tourillons étaient d'un diamètre et d'une longueur de 1 calibre. Les autres parties du matériel n'ont pas reçu de dimensions déterminées, et restèrent variables d'une province à l'autre. On n'avait toujours pas de distinction officielle entre matériel de campagne et matériel de siège.

Les canons sont munis d'un grain de lumière en cuivre rouge et parfois d'une petite chambre au fond de l'âme:


La vitesse de tir des canons de campagne était de 2 à 3 coups par minute. Cette lenteur tenait surtout à la façon de placer la charge, on prenait en effet la poudre dans un baril avec une lanterne de chargement et on l'introduisait avec précaution jusqu'au fond de l'âme. Les gargousses en papier ne furent employées qu'en 1740, ce qui augmenta la cadence et la régularité du tir. 

Les mortiers du système Vallière avait un tir trés irrégulier, et le tir a double feu des bombes l'ont sans doute empéché de fixer un modèle d'obusier, par suite des difficultés de mettre feu à la fusée lorsque le tube était un peu long (le tir des bombes à un seul feu ne fut définitivement employé que vers 1747).

D'une façon générale, le système Valière manquait de mobilité, le pointage était encore trés insuffisant (on pointait avec la génératrice supèrieure et ce n'était précis que pour le but en blanc).


L'artillerie à canon lisse au XVIII° - le système Gribeauval: Aprés la guerre de succession d'Autriche (1741), qui avait épuisé l'artillerie française, et la guerre de sept ans (1756-1763), où elle fut si mal dirigé et s'était montré trés inférieure en qualité comme en quantité, notre artillerie se trouvait dans un état déplorable. La Prusse et l'Autriche avaient au contraire perfectionné et amélioré la leur.

Louis XV se décide alors à rappeler le capitaine Gribeauval, tombé en disgrâce et qui, ayant pris du service en Autriche était à l'origine des progrés réalisés dans ce pays.. Il fit de nouvelles tables de constructions où toutes les dimensions des matériels étaient fixées, et obligea les arsenaux à les suivre scrupuleusement. Il sépara de plus clairement les matériels de campagnes, de siège, de place, de côte, et leur apporta de nombreux perfectionnements. Les matériels de campagnes notamment furent fortement allégés (gain de 40% par rapport au système Vallières). La vitesse de tir était de 2 coups à la minute pour le tir à boulet (boulet sphérique en bronze), et de 6 coups à la minute pour le tir à mitraille (boites à balles).

Artillerie de siège: canons de 24, 16 et 12, un obusier de 8 pouces et trois mortiers de 12-10 et 8 pouces. Ces canons différent peu de ceux de Vallière

Artillerie de place et de côte:canons de 36, 24, 18, 16 et 12, ainsi que de nombreux mortiers. Ils comportent des affûts trés robustes, des roues de faible diamètre et des coins pour limiter le recul. 

Artillerie de campagne: canons de 12, 8 et 4 et obusier de 6 pouces. Ils sont trés fortement allégés par rapport à ceux de Vallière. Leur poids est de 150 fois celui de leur boulet, leur longueur d'âme est de 18 calibres, la charge n'est que du tiers de celle du boulet. Les bonnes portées des canons est de 900, 800 et 600m, celle de l'obusier est de 600m. Quand on tire la boite à balle la bonne portée est réduite de 200m

Canon de 12:

Pièce de 12 sur son avant train, caisson à munition et mortier de 8 pouces:

Les canons coulés pleins étaient désormais forés pour l'intérieur et tournés pour l'extérieur. Une étoile mobile permettait la mesure des dimensions intérieures. 

Les munitions étaient désormais transportées dans une voiture spéciale, le caisson, et constituées désormais de cartouches à boulet ensabotés (le boulet avec sabot est fixé au sachet en serge) et de boites cylindriques à balles en fer pour le tir à mitraille. L'approvisionnement devait être de 200 coups par pièce. Pour la mise à feu on employait une étoupille en roseau, en substitution à la poudre d'amorce que l'on mettait en vrac dans la lumière. On enflamme cette étoupille avec un boute feu. 

Pour le pointage Gribeauval adopta une vis de pointage et une hausse. Pour le transport on substitua le timon à la limonière, ce qui améliora la mobilité.

Gribeauval avait réparti ainsi les calibres pour une armée de campagne: 3/5 de canons de 4, 1/5 de canons de 8 et 1/5 de 12.

Les principaux inconvénients de ce système étaient que les caissons étaient peu mobiles et peu stables, les obusiers trop courts et par suite peu efficaces. Gribeauval dut d'ailleurs remplacer ses mortiers par des mortiers à la Gomer de 12, 10 et 8 pouces, plus résistants. La vitesse initiale des bombes était faible car on ne savait pas réaliser des corps creux suffisamment résistant.

Les propositions de gribeauval furent adoptées une première fois en 1765, puis définitivement en 1774, non sans avoir donné lieu à de nombreuses et véhémentes discussions. Ce matériel fit toutes les campagnes de la révolution et de l'empire. 

Signalons une aberration: les conducteurs des attelages étaient des charretiers civils, qu'il était difficile d'amener et de maintenir dans la zone des feux. Les déplacements de matériels se faisaient sur le champ de bataille par les canonniers munis de bricoles. Ce grave défaut disparait en 1800 par la création de bataillons du train d'artillerie. L'artillerie à cheval devient dés lors assez mobile, mais l'artillerie à pied reste lente car les canonniers n'ont pas de places sur les voitures. 

Sous le consulat, en 1803 (an XI), le canon de 4 fut abandonné car trop faible, et on le remplaça par un canon de 6, dont de grandes quantités avaient été prises à l'ennemi, avec leurs munitions. En 1814 les obusiers furent allongés et eurent plus de justesse et de portée.

Signalons la caractéristique majeure de cette artillerie: on ne pouvait pas tirer au dessus des troupes, la flèche maxima était en effet inférieure à hauteur d'homme. L'artillerie devait être en première ligne, ou bien il fallait ménager des brèches dans les troupes amies pour que l'artillerie, placée quelques centaines de mètres derrière, puisse tirer! Les faibles portées impliquaient aussi qu'on s'avance trés prés des lignes ennemies, de 500 à 700m, ce qui rendait difficile leur retrait du front, qui en tout cas ne serait pas passé inaperçu de l'adversaire. Pour pouvoir concentrer de l'artillerie en un point de la bataille, il fallait avoir une artillerie de réserve. Les canons de campagnes tiraient surtout sur l'infanterie, il n'y avait guère de duels d'artillerie.


L'artillerie à canon lisse au XIX° - le système Valée: La commission présidée par l'inspecteur Valée, poursuivit de 1825 à 1829 des études nombreuses et précises dans le but d'établir un nouveau matériel de campagne, en s'inspirant des matériels étrangers et surtout anglais, dont la mobilité avait frappé les officiers français durant la guerre d'Espagne. le système Valée fut adopté en 1827.

Le principal progrés était que l'artillerie devint une artillerie montée pouvant trotter sur tous les terrains. Pour ce faire on réunit les deux trains de toutes les voitures à suspension, ce qui entraina l'adoption du colleron et de la servante et l'uniformité des roues. L'affut est formé de deux flasques courts entre lesquels est fixé une flèche qui va en s'amincissant pour faciliter les tournants. La crosse est trés légère et accrochée bas, ce qui rend la réunion et la séparation rapide et simple. 

De plus les coffres sont aménagés pour le transport des servants. Les conducteurs du train d'artillerie sont remplacés par des canonniers conducteurs.

La mise à feu se fait avec une étoupille fulminante à friction.

Pièces de campagnes: canons de 12 et de 8 et obusiers de 16cm et 15cm; les canons sont ceux de Gribeauval, les obusiers sont plus longs et leurs munitions ensabotées. 

Pièces de siège: canons de 24 et de 16, obusier de 22cm

Pièces de montagne: obusier de 12cm, transportable à dos de mulet


Canons à la Paixhans: Des essais de boulets creux avaient été tentés au XVIII° siècle, mais avaient donné lieu à des accidents. En 1824 l'officier d'artillerie Paixhans commença des études sur un obusier pouvant tirer de tels boulets. Son canon, ou obusier de 22cm, était en fonte et avait une chambre cylindrique permettant l'emploi d'une charge allongée qui agissait ainsi comme une poudre lente. Le tir était cependant assez tendu et les boulets armés d'une fusée métallique se montrérent trés efficaces contre les navires à des distances relativement grandes. En 1836 nos navires furent armés de tels canons.

L'artillerie à canon lisse au XIX° - le modèle 1853: Napoléon III, qui s'était rendu compte de l'importance de la simplification des calibres, fit étudier par le capitaine Favé un système d'artillerie de campagne ne comportant qu'un seul calibre, en remplacement des quatre bouches à feu existantes. Le canon obusier de 12, qui réalisait la fusion des matériels de campagne du système Vallée, fut adopté en 1853. En bronze lisse, à chargement par la bouche, d'une longueur de 14,5 calibres, il tirait toutes les munitions de calibre 12 (boulets, obus, boite à mitraille). Il se montra excellent dans les campagnes de Crimée et d'Italie. 



L'artillerie rayée: Une des causes de la déviation des projectiles, notamment sphériques, était que ceux-ci étaient animés d'un mouvement de rotation sur eux même selon un axe variable. Les rayures dans le canon donnaient une rotation selon un axe fixe et invariable, permettant d'obvier à cet inconvénient, en même temps qu'elles augmentaient la justesse et la portée. 

Le premier canon rayé est du à Cavalli, officier piémontais. En 1845 le gouvernement piémontais fit construire selon les données de Cavalli des obusiers à chargement par la culasse. Ils tiraient des projectiles munis de deux ailettes qui donnaient un mouvement de rotation au projectile en s'engageant dans les rayures de la culasse. La régularité était nettement améliorée et la portée s'avéra plus grande.

En France, Tamisier, à l'école de tir de Vincennes, au courant des essais de Cavalli, fit lui aussi des essais d'obusier rayé. Ces études furent interrompus par la révolution de 1848, puis repris en 1850 par une commission d'experts. les membes de la commission étaient tous convaincus de la supériorité de l'artillerie rayée, mais leurs travaux n'avançaient que lentement. 

En 1856, Napoléon III demanda au général de la Hitte, président du comité, de lui présenter dans les plus brefs délais un nouveau matériel de campagne profitant des progrés accomplis grace aux rayures. En 1858 est approuvé un canon de 4 de campagne, ainsi qu'un canon de montagne de même calibre. Notons que le calibre est désigné ici par le poids du projectile en kilogrammes, et non plus en livres. On conserva le canon-obusier de 12 en le rayant, car on craignait que le 4 ne soit pas assez puissant.

Canon rayé de 4 modèle 1858

Le nouveau matériel de campagne était ainsi composé d'un canon de 4 et d'un canon de 12, pouvant tirer des obus ordinaires, des obus à balles, des boites à balles. Comme pour les fusils, on avait diminué la vitesse initiale par suite de l'adoption d'obus allongés plus lourds que les boulets ronds. Les projectiles étaient à ailettes sans forcement.

Les qualités balistiques étaient bonnes pour l'époque, avec des portées utiles de 2000 à 2500m et une précision considérablement augmenté par rapport à l'ancien matériel, mais elles furent annihilées par l'insuffisance des fusées. A l'origine on avait une fusée percutante Desmarets et une fusée hexagonale à 2 durées (1500 et 2200m) pour les obus ordinaires, et une fusée à 4 durées ( 500m, 800m, 1000m, 1200m) pour les obus à balles. Mais plus tard on trouva la fusée Desmarets dangereuse et la fusée à 4 temps compliquée. Nos projectiles de 1870 ne furent plus armés que de la fusée à deux temps, ce qui les rendait inefficaces pour les autres distances. 

Les canons de sièges et de places furent rayés également et comprenaient des canons de 24, 12 et 16 (là aussi le calibre est le poids en kg de projectile). 

Le nouveau matériel, avec l'augmentation de portée, permet à l'artillerie de s'établir sur des hauteurs ou derrière des crêtes, et non plus juste sur la ligne de front. Dérobée au yeux de l'ennemi et à couvert de son feux elle pouvait facilement être retirée et transportée dans une autre zone, parfaitement à l'insu de son adversaire. On n'était plus obligé dés lors d'avoir de l'artillerie en réserve. 

La grande portée permet aussi à l'artillerie de pourvoir jouer des rôles distincts sans forcèment avoir à se déplacer. Pouvant tirer au dessus des troupes amies, on n'avait plus à ménager des créneaux dans celle-ci. Désormais les duels d'artillerie étaient possibles, et le succés des attaques d'infanterie tiendront au résultat de ce duel. 

Des essais de chargement par la culasse avaient eu lieu, mais seule la marine adopta le système du capitaine Treuille de Beaulieu à vis à filets interrompus, l'artillerie de terre étant réticente pour son utilisation en campagne.

Pendant ce temps la Prusse effectuait elle aussi des recherches secrètes sur l'artillerie rayée, et dés 1861 elle disposait de pièces à canon rayé se chargeant par la culasse, système qui fut généralisé à partir de 1869. Ces canons avaient des qualités balistiques supèrieures à celles des pièces françaises, et tiraient plus vite. Néanmoins pendant le conflit franco-prussien, l'infériorité de l'artillerie française ne fut pas due tant à l'infériorité balistique des matériels, mais plutôt au mauvais emploi tactique des batteries éparpillées sur le champs de bataille et à la réduction à deux durées des fusées fusantes de l'obus explosifs.

Aprés la défaite de 1870 l'artillerie dut se réformer cf. Artillerie du système de Bange


Sources: Cours de fortification - Ecole militaire de l'artillerie - 1912