RUMEURS DE LA GRANDE GUERRE

<= L'armée française de l'été 14

On a le droit en effet de considérer comme telle la guerre européenne: une immense expérience de psychologie sociale d'une richesse inouïe... - Marc Bloch


Les fausses nouvelles ont parsemé le conflit mondial, ce qui relève bien sûr de la psychologie des foules. Le rôle de la censure a été ici considérable, car son intervention a bâillonné et paralysé la presse, si bien qu'on finissait par ne plus croire même les vérités qu'elle laissait filtrer. L'opinion prévalait dans les tranchées que tout pouvait être vrai à l'exception de ce qui était imprimé, d'où le renouveau de la tradition orale, mère de légendes et de mythes.

Les fausses nouvelles! pendant quatre ans et plus, partout, dans tous les pays, on les vit naître et pulluler; elles troublaient les esprits, tantôt surexcitant et tantôt abattant les courages; leur variété, leur bizarrerie, leur force étonnent encore quiconque sait se souvenir et se souvient d'avoir cru - Marc Bloch - Réflexions d'un historien sur les fausses nouvelles de la guerre

Affiche placardée dans les lieux publics durant la guerre:

Affiche de mise en garde contre les espions


Les Russes débarquent: Vers la fin août 1914 le bruit se répandit comme une traînée de poudre en France et en Grande-Bretagne que des russes débarquaient par dizaines de mille, pour les uns en Écosse, pour les autres à Marseilles. Cette rumeur naquit sans doute spontanément dans les deux pays. Désir de voir se renforcer le front grâce à une Russie imaginée comme une réservoir d'hommes inépuisable? Vue d'uniformes inaccoutumés et de langues parlées par des soldats étrangers?

Atrocités belge: En allemagne, dés les premiers combats, le bruit se répandit à la fois parmi les troupes comme à l'arrière, que les belges des deux sexes étaient comme des bêtes altérées de sang, et à la tête des espions, francs-tireurs, pétroleuses, massacreurs de blessés, se trouvaient les prêtres, et ce malgré les protestations des catholiques allemands qui cherchèrent à disculper leur collègues belges. Il est vrai que les allemands ont été nourris durant des décénnies par les récits des atroces exploits prêtés aux franc-tireurs français durant la guerre de 1870, et que les officiers ont dans leur sac des manuels militaires où l'on enseigne comment se conduire envers les civils rebelles.

D'une façon générale la résistance des troupes belges, l'hostilité des civils belges étonnent les allemands qui croyaient ne faire la guerre qu'aux français. Les soldats ignorent d'ailleurs le plus souvent la réponse du gouvernement belge à l'ultimatum allemand du 2 août, et s'ils la connaisse ils ne la comprennent pas. 


Rumeur anticléricale: En 1915 prend corps une "rumeur infâme" qui courra peu ou prou jusqu'à la fin de la guerre, toujours étouffée mais toujours renaissante. Prètres et religieux, non contents de se soustraire à leurs devoirs militaires, soutiendraient la Prusse pour faire la guerre à la France laïque et détruire ses institutions.

Le ministre de l'intérieur Malvy réagit mollement, tandis que le ministre de la guerre ordonne de rechercher énergiquement et de livrer aux tribunaux les colporteurs de ce bruit. Les catholiques font alors éditer un tract de quatre pages La guerre et les curés, qui prend la forme d'une lettre à un cultivateur. De grandes voix s'élèvent contre cette infamie, celle de Barrés et de Clémenceau notamment. Le renfort le plus inattendu vient de l'Instituteur français, qui qualifie cette rumeur d'idiote calomnie.

Son origine vient probablement de la politique de neutralité du pape Benoît XV, qualifié en France de pape-boche et en Allemagne de pape-pro-français.


Sources: Légendes, prophéties et superstitions de la guerre - Albert Dauzat - 1919
Réflexions d'un historien sur les fausses nouvelles de la guerre - Marc Bloch - 1921
Comment naît un cycle de légendes, francs-tireurs et atrocités en Belgique - Fernand Van Langenhove - 1916